Les pogroms d’Alaouites par le nouveau régime en Syrie
Michel Fayad*
Depuis la chute du régime de Bachar el-Assad en décembre 2024, la Syrie a basculé dans une ère de violences contre les minorités religieuses. Cet article documente les pogroms commis contre les Alaouites par le régime djihadiste de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), et analyse les causes idéologiques, les responsabilités, les bilans humains et les implications géopolitiques de cette tragédie ignorée.
Le prétexte avancé par Hayat Tahrir al-Cham (HTC) pour les exactions de décembre 2024 à février 2025 était la lutte contre « les restes du régime ». Parmi les victimes, il peut y avoir eu d’anciens soldats, le plus souvent non-armés, mais en général, il s’agissait de membres de communautés entières : étudiants, médecins, femmes, enfants. Ce prétexte a paru d’autant plus mensonger lors des tueries de mars 2025, où les civils — femmes, enfants et hommes non armés — ont représenté l’écrasante majorité des morts, selon les témoignages de survivants, qui parlent des deux tiers, voire des trois quarts des victimes.
Ces pogroms sont aussi graves que le pogrom contre les Juifs du 7 octobre 2023 en Israël.
HTC est un groupe djihadiste lié à al-Qaïda même s’il s’en est séparé de manière organisationnelle. La vidéo dans laquelle son chef, Ahmed al-Chareh (dit Abou Mohammed al-Joulani), annonce sa rupture avec al-Qaïda le 28 juillet 2016[1], montre qu’il l’a fait pour accéder à des financements des pays du Golfe en tant que force combattant le régime de Bachar el-Assad, alors qu’en tant que membre d’une organisation terroriste mondiale, cela aurait été plus compliqué pour ces pays.
En décembre 2024, HTC a pris Damas, la capitale syrienne, en seulement 12 jours. Y ont contribué les armes et l’argent dont disposait Joulani grâce aux Turcs et aux Qataris, et surtout, l’aide apportée par les djihadistes étrangers, notamment français.
Ces armes ont donné l’impression qu’il était invincible, et l’argent lui a permis d’acheter des complaisances dans l’armée et les services de renseignement du régime d’Assad. D’après les agences de presse occidentales, HTC avait annoncé le ralliement de certains militaires et agents des renseignements syriens qui lui ouvraient le chemin d’abord d’Alep puis rapidement de Hama, Homs et Damas.
La chute d’Alep fut notamment rendue possible par les frappes israéliennes au lendemain du cessez-le-feu au Liban.
L’effondrement est l’aboutissement de 13 ans de terrorisme djihadiste, financé par des pays du Golfe, de guerre civile, de crises économiques et monétaires, de tensions entre les communautés religieuses, de déplacements de populations et d’affaiblissement de l’armée syrienne. La chute subite a aussi été rendue possible par l’affaiblissement du Hezbollah par les bombardements israéliens au Liban et l’élimination de son commandement et par les frappes israéliennes empêchant l’intervention des Gardiens de la Révolution islamique iranienne et de leurs proxies, le Hezbollah libanais et les Hachd al-Chaabi irakiens, pour sauver Assad[2].
L’Iran a perdu un allié important. La Turquie gagne en puissance. Israël a pris le Mont-Hermon et est à quelques kilomètres de Damas. Israël contrôle désormais l’ensemble de la province d’Al-Quneitra (y compris son chef-lieu du même nom), qui englobe le Golan. Ces actions visent à protéger Israël du nouveau régime syrien, à contenir l’influence turque et à contrôler le sud de la frontière syro-libanaise pour empêcher l’approvisionnement en armes du Hezbollah.
L’affaire des sanctions économiques divise le monde. Les Britanniques et les Allemands les ont levées. Les Américains et les Français prennent leur temps. Les Américains quittent la Syrie. Cela inquiète les Kurdes du nord-est. Ils craignent la Turquie, un retour de Daesh (un autre groupe terroriste sunnite extrémiste), et le régime djihadiste centralisé de HTC, déjà au pouvoir. Les Kurdes veulent un régime fédéral à l’instar de l’Irak. La chute d’Assad n’apporte pas la paix. Elle crée de l’incertitude et des changements majeurs au Moyen-Orient. Les défis sont nombreux : le type de nouveau régime, la liberté et la sécurité des minorités, la lutte contre le terrorisme, et les rivalités régionales. Les pogroms d’Alaouites commencés en mars 2025 continuent. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) estime à 1 476 personnes le nombre de personnes tuées dans ces massacres[3]. Il faut des enquêtes internationales pour établir la vérité et rendre justice.
En décembre 2024, Bachar el-Assad a perdu le pouvoir en Syrie. HTC, groupe djihadiste resté lié à al-Qaïda malgré ses démentis, a pris Damas. Sa rupture avec al-Qaïda est seulement organisationnelle, pour accéder à des financements étrangers.
Les Alaouites ont souvent été persécutés par les pouvoirs sunnites. Des fatwas, ou règles religieuses, ont appelé à leur extermination[4]. Les pogroms subis par les Alaouites, surtout ceux de mars 2025, incluent des exécutions sommaires et des enlèvements — notamment de fillettes. Des expulsions forcées ont également été signalées. Au Moyen-Orient, certains appellent ces pogroms un « 7 octobre » pour les Alaouites[5]. C’est une comparaison avec le pogrom contre les Juifs du Hamas en 2023 en Israël.
Estimations des victimes
Les chiffres des morts varient beaucoup. Chaque source a ses méthodes et parfois des buts politiques. Voici les bilans :
- L’OSDH dit que 1 476 civils, surtout Alaouites, sont morts au 17 mars 2025. 683 à Lattaquié, 433 à Tartous, 255 à Hama, et 12 à Homs. Le 7 mars, 136 personnes ont été tuées à Lattaquié. Le 13 mars, 93 autres dans des villages de la même région. Le journal « Le Monde » cite l’OSDH avec 1 600 morts sur la côte début mars[6].
- Fabrice Balanche, professeur de géographie spécialiste de la Syrie et connaisseur de la situation sur le terrain, parle de 5 000 morts[7].
- Des partisans de Joulani parlent de 2 000[8] à 9 000 morts[9] sur X.
- Bachar Ismail, un acteur syrien très hostile à Bachar el-Assad et partisan de Joulani, parle de 22 000 morts[10].
Localisation géographique des pogroms
Les pogroms ont touché surtout la côte syrienne. C’est là que vivent beaucoup d’Alaouites. D’autres zones sont aussi concernées. Voici les principaux :
- Lattaquié : Les pogroms ont commencé le 3 mars 2025. Le quartier de Daatour a été visé. Le 7 mars, 136 personnes ont été tuées dans le village d’Al-Chir selon l’OSDH. Le 13 mars, 93 autres dans des villages proches. L’hôpital de Lattaquié était débordé. Il était surveillé par des militaires.
- Banias : Cette ville côtière a une population mixte. Entre le 6 et le 9 mars, plus de 100 personnes ont été tuées. Amnesty International confirme 32 exécutions d’Alaouites dans le quartier Al-Qoussour.
- Tartous : Des familles alaouites ont fui au Liban dès le 9 mars. L’OSDH compte 433 morts dans cette région.
- Jablé (Jableh) : Les pogroms ont éclaté le 6 mars. Ils ont suivi des combats entre pro-Assad et forces de sécurité du régime djihadiste. Des attaques contre les Alaouites ont suivi.
- Montagnes côtières : Ces zones sont des refuges pour les Alaouites. Elles ont été attaquées par des opérations punitives.
- Hama et Homs : 255 morts à Hama et 12 à Homs en mars selon l’OSDH. Huit villages alaouites près de Hama ont été vidés. En avril, 13 Alaouites ont été tués à Homs en 24 heures[11].
- Damas : 4 Alaouites ont été tués les 25-26 avril[12].
- Al-Qardaha et Al-Qabu : Ces villes ont subi des pogroms en mars. Al-Qardaha est la ville d’origine de la famille Assad.
Attribution des responsabilités
HTC et ses alliés, comme Hurras al-Din (les « Gardiens de la Religion »), sont les principaux responsables selon les renseignements américains[13]. Amnesty International et 2 vingt-cinq vidéos publiés par le journal « le Monde » prouvent que des milices de HTC ont tué. Les forces du régime djihadiste ont exécuté des Alaouites en avril à Homs et Damas. Les Alaouites sont vus comme des soutiens d’Assad, même si beaucoup ne l’étaient pas[14].
Mais la raison principale est ailleurs. HTC et les Frères musulmans partagent la même idéologie sunnite extrême. Cette idéologie, notamment fondée sur une fatwa d’Ibn Taymiyya, une jurisprudence islamique de cet ouléma qui enseignait à Damas (d’où il mourut en 1328) citée par l’historienne et spécialiste de l’islam et des organisations djihadistes Lina Murr Nehmé[15], appelle à persécuter les Alaouites (ou Noçaïris) : l’islam orthodoxe ne reconnaît pas la liberté religieuse mais, sous certaines conditions, octroie la « protection » aux communautés chrétienne, juive et zoroastrienne. Sa fatwa traite les Alaouites de mécréants et d’hérétiques. Elle est la vraie cause des pogroms. Ibn Taymiyya a influencé le prédicateur et théologien Mohammed ben Abdelwahhab qui a conclu des pactes avec les dynasties Saoud en Arabie (en 1744) et Thani au Qatar mais aussi les Frères Musulmans, le Hamas, al-Qaïda, Daesh, Boko Haram, al-Shabab, et diverses autres entités extrémistes du Sahel, notamment celles qui ont combattu la France au Mali, au Burkina Faso, au Tchad, au Niger, en Libye, etc. ou encore Youssef Qaradawi qui a régi le monde de la fatwa durant des décennies, notamment à travers le site web Islamweb, et la chaîne qatarie al-Jazeera, la seule chaîne d’audience mondiale, à avoir osé appeler au génocide des alaouites.
À Homs, des imams de l’université ont prêché contre les Alaouites et les chrétiens. Des foules sunnites ont crié des slogans anti-alaouites. Les Alaouites sont ciblés parce qu’ils sont Alaouites, comme les Juifs ont été ciblés parce qu’ils étaient Juifs dans le pogrom de 2023.
Amnesty International et Human Rights Watch demandent des enquêtes indépendantes. Ils parlent d’une « campagne systématique » contre les minorités. L’ODNI, une agence américaine, craint que HTC favorise le retour de Daesh. Daesh a déjà attaqué des chrétiens et des chiites en Irak, en Syrie, et au Liban.
Les minorités en Syrie, comme les Alaouites, les Chrétiens, les Druzes, les Chiites, les Ismaéliens, et les Yazidis, sont en danger. Une Syrie démocratique doit être fédérale. Cela protégera tout le monde. Or, le régime djihadiste de HTC qui est au pouvoir à Damas n’est pas démocratique et veut tout centraliser. S’il reste en place, seule une partition du pays sauvera les minorités et leur assurera liberté et sécurité.
Depuis le 28 avril, les djihadistes au pouvoir à Damas incitent leurs partisans à tuer des Druzes[16]. Une dizaine de Druzes ont déjà été tués et blessés à Damas et dans sa banlieue sud-est de Jaramana habitée par les Druzes. Le 31 décembre 2024, HTC avait tenté d’envahir la province de Soueida surnommée le Djebel Druze au sud de la Syrie mais avait été repoussé par les miliciens druzes. Plusieurs personnalités politiques et spirituelles druzes ont appelé Israël à les protéger du nouveau pouvoir.
* Michel Fayad est un professionnel de l’énergie et de la finance ; formateur en géopolitique à l’IFP Training ; chercheur en diplomatie, administration publique et politique et ancien conseiller du ministre de l’Économie et du Commerce.
[1] BBC le 29 juillet 2016 : Syrian Nusra Front announces split from al-Qaeda. Lien : https://www.bbc.com/news/world-middle-east-36916606.
[2] WION le 28 avril 2025 : Netanyahu: Israel Intercepted Iranian Planes Sent To Rescue Bashar Al Assad. Lien : https://www.youtube.com/watch?v=7iaLKz6JaJU.
[3] Publication sur X, 29 avril 2025. Lien : https://x.com/syriahr/status/1900178232051200136.
[4] MURR NEHME Lina, Don à Syria Charity : à quoi Macron s’engage-t-il ?. Publication sur son site internet personnel le 20 avril 2018. Lien : https://linamurrnehme.com/fr/2018/don-a-syria-charity-a-quoi-macron-s-engage-t-il/
[5] France Info TV le 10 mars 2025 : Syrie : ‘On est en train de parler d’un 7 octobre contre les Alaouites’, affirme Michel Fayad. Lien : https://www.francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/syrie-on-est-en-train-de-parler-d-un-7-octobre-contre-les-alaouites-affirme-michel-fayad_7121580.html.
[6] Le Monde le 25 avril 2025 : Syrie : les vidéos prouvent que des hommes du nouveau régime étaient impliqués dans les massacres d’Alaouites. Lien : https://www.lemonde.fr/international/video/2025/04/25/syrie-les-videos-prouvent-que-des-hommes-du-nouveau-regime-etaient-bien-impliques-dans-les-massacres-d-alaouites_6599880_3210.html.
[7] BALANCHE Fabrice, Géographie du massacre des alaouites. Publication dans Conflits le 25 mars 2025. Lien : https://www.revueconflits.com/geographie-du-massacre-des-alaouites/.
[8] Publication sur X, 6 mars 2025. Lien : https://x.com/Ostensiblay/status/1899407633032827315.
[9] Publication sur X, 12 mars 2025. Lien : https://x.com/RojavaNetwork/status/1899826925335351554.
[10] Publication sur X, 10 mars 2025. Lien : https://x.com/NewsHeadlineX/status/1901320573466050720.
[11] Publication sur X, 27 avril 2025. Lien : https://x.com/jenanmoussa/status/1916572076720394300?s=43&t=4bxOK1otbB-zql9mIX2upw.
[12] Publication sur X, 27 avril 2025. Lien : https://x.com/joshua_landis/status/1916280723486519401.
[13] Office of the Director of National Intelligence (ODNI). Annual Threat Assessment of the U.S. Intelligence Community – 2025, 11 mars 2025. Lien : https://www.dni.gov/files/ODNI/documents/assessments/ATA-2025-Unclassified-Report.pdf
[14] BBC le 3 avril 2016 : Syrian Alawites distance themselves from Assad. Lien : https://www.bbc.com/news/world-middle-east-35941679.
[15] MURR NEHME Lina, Don à Syria Charity : à quoi Macron s’engage-t-il ?. Publication sur son site internet personnel le 20 avril 2018. Lien : https://linamurrnehme.com/fr/2018/don-a-syria-charity-a-quoi-macron-s-engage-t-il/.
[16] Publication sur X, 28 avril 2025. Lien : https://x.com/MiraMedusa/status/1916943322847105373.