I- Pour une neutralité positive et permanente du Liban garantie internationalement Michel FAYAD
23/05/2008
Béchara el-Khoury écrit dans ses mémoires que le pacte de 1943 était «l’entente des deux éléments qui constituent la nation libanaise, la fusion de leurs opinions dans une croyance unique: indépendance complète du Liban sans le recours à une protection occidentale, ni à une unité ou une union avec l’Orient.» Dans sa déclaration ministérielle le 7 octobre 1943, Riad el-Solh affirma: «Nous voulons une indépendance véritable; nous voulons notre souveraineté nationale exclusivement (…). À cet effet, nous nous entendons avec notre sœur, la Syrie, sur l’administration des services appelés aujourd’hui d’“intérêts communs” (…). Le Liban est une patrie au visage arabe, qui puise dans la culture occidentale ce qui lui est bon et utile. Le gouvernement agira en vue d’asseoir les relations entre le Liban et les pays arabes frères sur des bases solides qui garantissent le respect des États arabes à l’indépendance du Liban, à sa souveraineté absolue et à l’intégrité de ses frontières actuelles.» Bachir Gemayel souhaitait redéfinir la neutralité libanaise dite négative car reposant sur la formule «ni Orient ni Occident» du pacte national: «L’Occident doit comprendre à son tour que le Liban n’est pas sa voie d’accès aux gisements pétrolifères. L’Orient doit comprendre à son tour que le Liban n’est pas sa tête de pont menant à la civilisation des loisirs de luxe. Au Vatican aussi de comprendre que les chrétiens du Liban ne sont pas un matériel expérimental pour le dialogue islamo-chrétien. Le “Liban-pont” est terminé.» (I) Sélim Jahel écrit: «Un statut de neutralité pour le Liban, avec une garantie internationale à l’instar de celui dont bénéficiait à cette époque l’Autriche, permettait de conjurer toute nouvelle menace de conflit tant d’ordre interne qu’international. Antoine Fattal fut chargé de plancher sur la question. Ce n’était pas une mince affaire.» (II) En effet, pour Bachir Gemayel, la neutralité suisse ne serait pas acceptée par les Arabes au Liban car elle signifierait à leurs yeux l’isolationnisme. Ainsi, il appuyait l’esprit de la neutralité du pacte national: le Liban considérant les Arabes comme des frères devait être à leurs côtés quand ils s’entendent et resterait sur la touche, neutre, quand ils se disputent (III). Toutefois, il convient ici de préciser que la neutralité du Liban en tant que telle n’est pas rejetée par les Arabes puisque celle-ci fut reconnue dans le document 11 du protocole d’Alexandrie fondant la Ligue arabe. C’est pourquoi il se pencha avec le groupe gamma sur la neutralité autrichienne. À Mohammad el-Kholi, le chef des services de renseignements de l’armée de l’air syrienne, qu’il rencontra au palais présidentiel de Baabda en 1981 à l’initiative du président Sarkis, Bachir Gemayel lança: «Un accord, dans la mesure où il est possible, ne peut être que total et global. Je veux un État et non un bordel. J’ai cet État. Je veux un allié dans la région. Soit le Syrien, soit l’Israélien, soit l’Américain, soit le Soviétique. Mais je n’accepterai de traiter que d’égal à égal. C’est uniquement dans ces conditions que nous pouvons négocier. Je veux le Nord, Zahlé et le Chouf.» (IV) Interrogé sur son alliance avec l’État hébreu, Bachir Gemayel répondit: «En politique, il n’y a rien de permanent, vous n’avez ni d’alliés permanents ni d’ennemis permanents. Nous devons prendre les plus grands avantage et bénéfice du changement dans la balance des pouvoirs et dans l’équilibre des pouvoirs au Liban.» (V) Devenu président, il prévint: «Notre action de la résistance et de la libération se situe au niveau de la nation et à ce niveau-là, nous postulons que l’unité existe, sans quoi il n’y aurait même pas de nation. À ce niveau-là, nous n’acceptons que l’unité, nous parions sur l’unité, et nos paris sont toujours gagnants. Que ça plaise ou non au Vatican, aux États-Unis, à la France (VI) ou aux Nations unies, nous sommes disposés à prendre avantage de n’importe quel développement pour tirer le Liban de la crise dans laquelle il se débat. Nous n’avons de comptes à rendre à personne. Nous prendrons leurs conseils en considération, mais en fin de compte, la décision sera purement libanaise et je vous garantis que je la prendrai.» «En 1989, jugeant un accord interne incomplet pour résoudre la crise, le sociologue Theodor Hanf avait préconisé, dans un article publié par La Revue des deux mondes, l’idée d’une seconde conférence, d’un second accord sur le Liban, non plus entre les acteurs internes, mais entre les différentes puissances régionales, pour immuniser, sanctuariser définitivement le Liban. Sans quoi ce dernier continuerait à être victime des velléités des uns, des complexes des autres et des fantasmes de chacun.» (VII) Marie Semaan définit la neutralité, «selon le droit international classique et d’une façon générale», comme étant «la situation d’un État qui demeure en dehors de tout conflit armé intéressant d’autres États et en dehors des hostilités du temps de guerre. Ce statut est un statut type préorganisé par l’ordre juridique international global (…). Par neutralité, il faut entendre: un État de droit défini par un ensemble de droits et d’obligations, et non pas une simple expression de fait momentanée comme c’est le cas pour le neutralisme par lequel un État n’entend pas se lier à un groupe de puissances, soit en vertu d’un instrument juridique formel, soit du fait de l’analogie du comportement politique». (VIII) En ce qui concerne les droits, l’État neutre bénéficie de «l’inviolabilité de son propre territoire (terre, ciel et mer) et la liberté de ses relations économiques avec les États belligérants.» (IX) Pour les devoirs, l’État neutre doit rester impartial et s’abstenir de toute participation aux hostilités (X). (I) Dans son discours à Okaïbé le 25 octobre 1980. (II) Dans «L’Orient-Le Jour» du 14 septembre 2007. (III) Dans «L’Orient-Le Jour» du 14 mars 2007. (IV) Alain Ménargues, «Les secrets de la guerre du Liban», Albin Michel, Paris, 2004. (V) Dans un entretien accordé à la chaîne de télévision ABC le 9 juillet 1982. (VI) Lire l’article de Percy Kemp publié dans «L’Orient-Le Jour» le 8 mars 2007. (VII) Dans «L’Orient-Le Jour» du 27 décembre 2006. (VIII) Dans le «Magazine de défense» le 1er octobre 1998. (IX) Voir l’article de Marie Semaan sur la neutralité dans le «Magazine de défense» du 1er octobre 1998. (X) Voir l’article de Marie Semaan sur la neutralité dans le «Magazine de défense» du 1er octobre 1998.
Pour une neutralité positive et permanente du Liban garantie internationalement II.- En attendant une nouvelle formule d’entente pour l’application du pacte national
24/05/2008
La neutralité positive est la clef pour résoudre l’imbroglio libanais. «?Cet enseignement coule de source, va de soi, au vu des épreuves endurées par le Liban à cause de l’implication dans des conflits extérieurs. Des crises, souvent insolubles, des guerres d’autrui multiples, livrées par procuration sur ce sol et tournant à la confrontation intestine. Les Libanais, désunis, divisés, s’entre-déchirant parce que des forces politiques se mobilisent pour servir d’instrument à des puissances, ou des causes, étrangères. La litanie est longue, interminable. Des souffrances indicibles, des dévastations, des deuils pendant tant de décennies. Que l’on aurait pu éviter, et que l’on devrait désormais prévenir, en adoptant l’option suisse ou autrichienne de non-engagement. Sans quoi, du reste, l’on serait encore bon, suivant l’expression familière, pour un siècle de drames, de tueries et de destructions. (1)» Interrogé par L’Orient-Le Jour, un ancien diplomate explique que dans la confrontation actuelle des axes sur la scène libanaise, il n’y a rien de nouveau. «?Ce pays, en ne se tenant pas résolument de côté et à l’abri, a toujours payé un lourd tribut à des conflits régionaux ou internationaux. Dans lesquels il n’était pas directement concerné, où ses intérêts propres n’étaient pas en jeu. Ce qui rend sa longue tragédie encore plus révoltante. Il rappelle, sans remonter aux XVIIIe et XIXe siècles, déjà riches en secousses et désunions internes alimentées du dehors, les épisodes marquants de l’époque contemporaine. La lutte entre colonisateurs français et britanniques tournant à l’avantage de ces derniers, par l’indépendance libanaise arrachée en 1943. Un rare moment de grâce où les Libanais s’étaient entendus pour sortir ensemble, les uns de l’orbite de la Syrie, les autres de celui de la France. Mais pour oublier ensuite, assez rapidement, la bonne règle, en se divisant de nouveau au sujet du pacte de Bagdad et du nassérisme. Ce qui avait provoqué les événements de 1958. Puis l’irruption des Palestiniens armés, prétendant, comme le déclarait Abou Ayad, que la libération de Jérusalem passait par la route de Jounieh. Ils avaient causé la guerre dite des deux ans, en 1975, et créé un État dans l’État. Puis l’entrée des Syriens, leur longue tutelle de presque 30 ans, émaillée de durs épisodes de guerre, qu’ils attisaient ou calmaient, en fonction de leurs intérêts du moment. Ensuite, un après-Taëf marqué lui aussi par une guerre sourde, bien que froide et limitée au volet politique, entre plusieurs protagonistes, pour diverses causes. Avec, pratiquement, élimination de la scène d’une composante essentielle du pays, ce que l’on peut appeler le camp chrétien. Enfin, malgré le retrait des forces syriennes, le clivage qui persiste et s’exacerbe (…). Répétons-le, objectivement, le vétéran cité a bien raison de répéter qu’il est temps pour les Libanais de comprendre les leçons de l’histoire. Et d’adopter une ligne de neutralité positive. C’est-à-dire qui ne serait pas un repli sur soi-même. Mais, tout en gardant un esprit civilisateur d’ouverture au monde, une protection contre les vents et les tempêtes soufflant du dehors. Qu’il s’agisse du conflit des axes ou des luttes d’influence entre Arabes comme entre différents étrangers. Il faudrait sans doute également, comme le relève l’ambassadeur Fouad Turk, comprendre la nécessité d’une solution de fond qui ne soit pas un arrangement épisodique, comme ce fut en réalité le cas pour les différents accords internes précédents.?(2)» Jean-Pierre Fattal considère que «?la neutralité suppose de mettre fin à toute surenchère qui est parfois le fonds de commerce de certains politiciens. Pour sa survie, le Liban ne peut se passer de la prudence et de la tempérance politique, conditions de la neutralité sans laquelle il ne pourrait bénéficier de la non-ingérence des autres pays dans ses affaires intérieures. En effet, la situation libanaise est bien trop grave pour manquer d’imagination et se contenter de formules de refus et d’attente. (…) En pratique, la neutralité reviendrait, pour le Parlement libanais, à solliciter auprès des puissances régionales et internationales, par un vote relayé par le gouvernement, la reconnaissance de la “neutralité permanente” du Liban sur les enjeux politiques, territoriaux, économiques régionaux?». Il met également l’accent sur la nécessité bien entendu d’une «?reconnaissance de la neutralité du Liban par ses deux voisins et par les puissances régionales et internationales afin de conférer à sa neutralité un caractère juridique international?». Marie Semaan explique que la neutralité permanente est «?la situation d’un État qui, à la suite d’un traité d’une déclaration d’un acte unilatéral, se proclame neutre en permanence vis-à-vis de tout conflit armé, et par conséquent refuse pour toujours de devenir un théâtre d’hostilités. Cet État s’abstient aussi de toute activité en tout temps susceptible de l’impliquer dans un conflit armé. En d’autres termes, sa neutralité résulte d’un statut particulier envisagé avant que n’ait commencé aucune opération militaire (…). Le but de la neutralité permanente est de mettre un État, sa population et le territoire qu’elle occupe à l’abri des éventualités d’une lutte armée. Ainsi, le gouvernement de l’État neutre voit son indépendance garantie contre ces éventualités, et le peuple y voit sa sécurité?». Comme le répètent inlassablement Sélim Jahel, Joseph Maila et le coordinateur général du Front de la liberté, Dr Fouad Abou Nader, aucune formule politique d’application du pacte national ne pourra fonctionner au Liban en dehors d’une neutralité positive et permanente et d’une garantie internationale de celle-ci. Quant à la formule politique actuelle, dite de Taëf, elle nécessite, pour fonctionner, la présence d’un tuteur (rôle joué par l’occupant syrien entre 1990 et 2005) et/ou d’un climat de compromis entre ses parrains régionaux et internationaux (États-Unis, Arabie saoudite et Syrie)... Ainsi et contrairement à ce que dit la direction actuelle du parti Kataëb, la proclamation de la neutralité positive et permanente du Liban garantie internationalement est inséparable non pas du maintien ou de l’application de l’actuelle formule issue du «?diktat de Taëf?», mais au contraire d’une entente interlibanaise sur une nouvelle formule politique d’application du pacte national qui lui seul est inamovible et définitif tel que le préconise le Front de la liberté. Michel FAYAD (1) » Dans L’Orient-Le Jour du vendredi 23 mai 2008. (2) Dans L’Orient-Le Jour du 24 novembre 2006.