Il y a cinq ans, nous avons tous manifesté pour l'indépendance, la souveraineté et la liberté du Liban. Certes, l'armée syrienne s'est retirée. Toutefois, nous avons conservé tous les vestiges de l'occupation syrienne : le traité de fraternité liant le Liban et la Syrie, tel l'Anschluss entre l'Allemagne nazie et l'Autriche autrefois ; la République de Taëf, excellent outil pour ses parrains américains, saoudiens et syriens pour paralyser le Liban et y maintenir un statut quo qui n'arrange qu'eux puisque son fonctionnement est lié non à l'entente entre les deux groupes culturels (chrétiens et musulmans) constituant la nation libanaise, mais à l'entente libano-syrienne et à celle entre les trois parrains ; l'implantation et l'armement des Palestiniens à l'extérieur et à l'intérieur des camps malgré l'annulation de l'accord du Caire en 1987 ; et l'existence d'une Résistance islamique.
En cinq ans, le Parlement, composé majoritairement de députés issus de partis et mouvements ayant participé à la révolution comme le Courant patriotique libre, le Courant du futur et le Parti socialiste progressiste, a renouvelé par deux fois (en 2005 et en 2009) le mandat de Nabih Berry à sa tête sans jamais voter l'annulation du traité de fraternité... L'intelligence des parrains internationaux de l'accord de Taëf a été d'en faire bénéficier les feudataires-notables, businessmen et chefs de milices qui ensemble militent pour le maintien d'un statu quo qui n'arrange qu'eux puisqu'il n'est en réalité qu'un diktat imposé au Liban et un règlement de compte fait aux chrétiens. Verrouillant ainsi toute solution pourtant vitale pour le Liban. Aucun congrès national de réconciliation n'a eu lieu et donc nul pacte de convivialité et de confiance n'a été adopté.
Le texte de Taëf proclame l'unité de la nation, mais en ignore la pluralité culturelle. Seul le régionalisme pourrait concilier l'autonomie de l'État et l'autonomie des groupes culturels formant la nation libanaise : les chrétiens et les musulmans. La décentralisation administrative préconisée par Taëf est totalement ratée puisque sont prévues des mesures de renforcement de l'autorité des agents du pouvoir central (mohafez et caïmacam), ainsi qu'une extension des services administratifs dans le pays et un redécoupage administratif du territoire allant dans le sens de l'intégration nationale. Or, une véritable « décentralisation » consiste à confier des pouvoirs autonomes à des organes et instances représentatives élues qui ne sont pas subordonnées au pouvoir central. En réalité, tout ce qu'énonce Taëf sous le libellé « décentralisation administrative » ne relève que de très banals mécanismes de « déconcentration administrative ». Le seul point positif est la création d'assemblées au niveau du caza destinées à assurer la participation locale, mais elles seraient présidées par le caïmacam.
Le texte de Taëf décrète l'identité arabe du Liban au lieu d'envisager une identité citoyenne libanaise capable d'englober les identités religieuses, locales, régionales et culturelles. Quant à l'appartenance au mouvement des non-alignés, ne peut-elle pas laisser le jour à l'émergence d'une neutralité positive et permanente à la fois garantie par les Nations unies et par la Ligue des États arabes (cf le document fondateur : Protocole d'Alexandrie du 7 octobre 1944).
En ce qui concerne la suppression du confessionnalisme politique tel que l'envisage Taëf, l'imam Chamseddine écrit qu'elle « conduirait à un aventurisme susceptible de menacer l'avenir du Liban ou du moins sa stabilité, de créer des circonstances favorables à la recherche, par l'une ou l'autre partie, d'un appui extérieur et, par voie de conséquence, à l'intervention de telle ou telle force étrangère ». Pourquoi ne pas commencer par intégrer dans la Constitution une charte reprenant tous les articles de la Déclaration universelle des droits de l'homme, sans se contenter d'une simple référence comme c'est le cas dans le texte actuel, ainsi que ceux de la Déclaration des Nations unies sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes et ceux de la Convention internationale des droits de l'enfant ? Cette charte octroierait des droits fondamentaux aux Libanais en tant que citoyens en dehors de leur appartenance confessionnelle.
Pour ce qui est de la parité islamo-chrétienne au Parlement, elle n'est qu'illusoire si la loi électorale est basée sur la large circonscription puisque le seul système la permettant est l'uninominal. La proportionnelle paraît improbable dans le cadre d'une démocratie consociative basée sur la parité entre deux groupes, organisée par une décentralisation administrative et n'ayant que peu de partis et mouvements politiques dépassant les clivages confessionnels et bénéficiant d'un poids électoral important. L'abaissement de l'âge de vote, le vote des émigrés et le quota féminin sont des réformes devant se greffer à l'établissement du système uninominal.
Pour ce qui est de la présidence de la République - dont la force s'inscrit dans le cadre stratégique d'une protection fonctionnelle des droits, de la liberté et de l'existence des minorités en Orient et non dans le cadre du confessionnalisme politique privilégiant les maronites - avec Taëf, son titulaire n'est plus le chef de l'Exécutif et n'est même plus un arbitre. Son rôle est bien plus formel que réel. Ses pouvoirs ne sont ni réduits ni limités, mais ôtés et transférés au Conseil des ministres et à son président.
Comble de l'absurde, Taëf a fait du Conseil des ministres une instance qui vote pour les « questions fondamentales » et a établi le tiers de blocage qui peut marginaliser n'importe quelle communauté. Seule la théorie de Calhoun garantirait aux communautés un droit de veto afin de préserver leurs droits afin qu'aucune communauté ne soit soumise au despotisme (à la domination) d'une majorité numérique (du nombre). Ce veto permet à chacune des communautés d'agréer (d'accepter) et le pouvoir de refuser.
Pour que l'État libanais recouvre réellement sa souveraineté, la notion d'extraterritorialité doit cesser : les Palestiniens et leurs camps doivent absolument être désarmés. D'autre part, l'Autorité nationale palestinienne doit leur délivrer des passeports palestiniens. Enfin, la Résistance islamique doit s'intégrer à une garde nationale qui couvrirait le territoire national et rassemblerait des citoyens de toutes les régions et de toutes confessions, et serait subordonnée dans sa conception et sa stratégie au ministère de la Défense pour les missions militaires avec l'armée : en cas d'agression étrangère, la garde nationale servirait de corps réserviste ; au ministère de l'Intérieur pour les missions de sécurité intérieure avec les Forces de sécurité intérieure (FSI) : dans des opérations de maintien de l'ordre, la garde nationale servirait de police de proximité et de police antiterroriste ; et, plus largement, au président de la République et au gouvernement.
Depuis 2005, « ils » nous parlent d'acquis sans nous dire lesquels... Le tribunal international n'est aucunement un acquis puisqu'il n'est qu'un nouvel instrument de pression des États-Unis sur l'ancien ( ?) tuteur syrien et donc un autre élément déstabilisateur pour le Liban. L'échange d'ambassadeurs entre le Liban et la Syrie est positif, mais sans véritable valeur tant qu'existe le traité de fraternité. Qu'en est-il de la libération des prisonniers, de la délimitation des frontières et des autres dossiers requérant une réelle réconciliation libano-syrienne ? Quant à l'arabité et l'entente syro-saoudienne dont s'est vanté le 14 février dernier le président du Conseil Saad Hariri, ne sont-elles pas justement les raisons du sacrifice depuis quatre décennies de l'indépendance, la souveraineté, la liberté et le Liban ? Pour qu'ils soient réellement des acquis, la Charte de l'action politique annoncée par l'Église en mars dernier, le document d'entente entre le Courant patriotique libre et le Hezbollah, mais aussi le document des propositions chrétiennes doivent être appliqués intégralement. De même, la réconciliation entre chrétiens et druzes ne doit pas paver le chemin à de pures alliances électorales circonstancielles, mais au retour des déplacés, ce qui assurerait aux chrétiens une présence libre et un poids électoral dans la montagne.
Les chrétiens doivent s'unir pour que le Liban recouvre son unité, sa souveraineté, son indépendance et sa liberté. Cela afin qu'avec les musulmans, ils puissent élaborer, en toute liberté, une nouvelle formule politique concrétisant le pacte de vie commune et garantissant, d'une part, la parité entre les deux groupes culturels constituant la nation libanaise et, d'autre part, la liberté, la sécurité et la dignité pour tous les citoyens. Plus que jamais, les 10 452 kilomètres carrés et la liberté ne doivent pas être des slogans, mais notre projet national.
Michel FAYAD