I- La solution : un chef de l’État et de l’exécutif
Par Michel FAYAD
09/02/2011
Certains avancent le projet fédéral, d'autres le projet laïc comme solution définitive une fois la crise actuelle réglée. Comment ? Alors même que ceux-ci risquent d'aggraver le problème, le fédéralisme reproduisant au mieux l'échec belge et au pire le caïmacamat (système cantonal comme en Suisse) qui a conduit aux plus grands massacres de l'histoire du Liban. Quant à la laïcité, s'il faut y tendre afin d'offrir à l'État les moyens d'agir, elle ne saurait constituer la solution quand en Europe même, en Turquie et ailleurs, elle est contestée et remise en cause par une partie des musulmans.
Pour résoudre la crise, il faut que tout le monde s'accorde enfin de résoudre le problème, qui ne réside pas dans l'appui ou le rejet du Tribunal spécial sur le Liban (TSL) mais dans la « République de Taëf » qui l'a aggravé. N'en déplaise à ses défenseurs, largement corrompus et/ou à la solde de ses parrains-tuteurs (États-Unis, Arabie saoudite et Syrie), l'application intégrale de l'accord (que l'on peut qualifier de diktat) n'y changera rien puisque des réformes prévues par le texte, telles que la décentralisation administrative, sont complètement ratées.
Pour résoudre la crise et le problème, il faut avant toute chose que le président de la République soit le chef de l'État et de l'exécutif.
Avec Taëf, le président n'est plus le chef de l'exécutif et n'est même plus un arbitre. Son rôle apparaît plus formel que réel. La fonction présidentielle est vidée de son halo et de son prestige. Les pouvoirs du président de la République ne sont ni réduits ni limités, mais ôtés et transférés au Conseil des ministres et à son président. La désignation du président du Conseil est tributaire du choix des députés. Le droit de dissolution du Parlement se fait à sa demande, au vu de certaines considérations énumérées limitativement. La démission du gouvernement se limite à l'acceptation de la démission au vu, là aussi, de la survenance de situations bien définies. Quant à la révocation des ministres, elle est de la compétence du Conseil des ministres. Le président n'est plus le chef de l'administration et c'est symboliquement qu'il commande aux armées. Subsiste toutefois le pouvoir de signer les décrets et de promulguer les lois. Or les décrets et les lois deviennent exécutoires après un certain délai. Le président est totalement contourné. Enfin, en cas de conflit entre le président de la République et le président du Conseil sur la formation du gouvernement, à moins de prendre le risque d'une grave crise, le président ne peut qu'acquiescer.
Taëf a instauré un pouvoir exécutif collégial en confiant le pouvoir exécutif au Conseil des ministres, une instance qui désormais vote. Or le principe de collégialité n'est pas respecté car le président fait l'objet d'une discrimination au sein de la collégialité puisque lorsqu'il préside le Conseil (quand il le désire), il ne peut voter. Taëf parle de « questions fondamentales ». Dans son analyse « Le document d'entente nationale : un commentaire », le professeur Joseph Maïla démontrait déjà l'aberration du vote en Conseil des ministres pour les « questions fondamentales » et celle du tiers de blocage que celui-ci entraînait : « Comment les ministres représentant une communauté mise en minorité peuvent-ils s'accommoder d'une décision prise ? Cela pour ne pas parler de l'absurdité, dans le cas libanais, d'une déclaration de guerre, acquise aux deux tiers des voix en Conseil des ministres ! Dans le cas libanais et dans le cadre maintenu du communautarisme, la coalition gouvernementale est, en dernière instance, une coalition communautaire. Or la différence entre un ministre ou un parti participant à la coalition gouvernementale dans des pays qui ne sont pas riches du pluralisme culturel libanais et un ministre ou un parti participant à un gouvernement dans le contexte libanais réside en ceci que les premiers peuvent démissionner, ébranlant éventuellement la coalition gouvernementale, mais que les seconds ne peuvent le faire sans menacer gravement la cohésion sociétale. Car une communauté ne démissionne pas. Elle s'exclut ou elle est exclue, ouvrant la porte aux pires des crises. »
La théorie de Calhoun consiste à garantir aux communautés un droit de veto afin de préserver leurs droits pour qu'aucune communauté ne soit soumise au despotisme (à la domination) d'une majorité numérique (du nombre). Ce veto permet à chacune des communautés d'agréer (d'accepter) et le pouvoir de refuser. Cette théorie se fonde sur l'exemple du tribunat de la plèbe à Rome à l'époque de l'Empire romain où un seul tribun pouvait s'opposer aux décisions du tribunat et sur la Constitution polonaise à son époque où un seul député pouvait s'opposer aux décisions de la Diète. En sciences politiques, la théorie de Calhoun est rattachée au système de démocratie consociative (consensuelle) comme le système libanais. Dans une démocratie comme la France, il faut l'accord d'une majorité du peuple dans son ensemble. Par contre, dans une démocratie consociative (consensuelle) comme le Liban, l'accord de chacune des différentes communautés constituant la nation libanaise est nécessaire. Le vote qualifié prive les communautés dont les représentants sont mis en minorité de l'efficience de leur droit de veto prévu par la théorie de Calhoun, essentielle dans une démocratie consociative (consensuelle). Il permet de passer outre aux positions d'une des communautés, rendant aléatoire le fonctionnement de la démocratie consensuelle tout entière dont le rôle est de rassurer les minorités en leur assurant un droit de blocage. Cela aurait pu n'être qu'hypothétique ou simplement théorique, mais la grave crise qui a secoué le Liban entre décembre 2006 et mai 2008 s'est déclenchée par le retrait du gouvernement de tous les ministres chiites. À l'avenir et dans le cadre maintenu du vote en Conseil des ministres, d'autres communautés pourraient faire « rébellion » et accuser les autres souhaitant maintenir le gouvernement de trahir le pacte de vie commune.
(À suivre)
II.- La solution : un chef de l’État et de l’exécutif
Par Michel FAYAD
11/02/2011
Le principe du vote en Conseil des ministres a entraîné, en pratique, une négociation préalable à la formation d'un gouvernement d'un tiers de blocage, alors qu'en théorie, c'est-à-dire d'après le texte de Taëf , le « tiers bloquant » ne voit le jour qu'à l'occasion d'une « question fondamentale » (voir L'Orient-Le Jour du 8 février 2011).
Avec la théorie de Calhoun, un droit de veto serait ainsi accordé par la démocratie consociative (consensuelle) libanaise aux communautés libanaises, permettant ainsi à celles-ci de s'opposer à une décision relative à une « question fondamentale ». Ainsi, un authentique système de checks and balances est garanti. La théorie de Calhoun permet la neutralité du Liban car en ayant le droit de veto, les communautés n'ont plus besoin de quémander l'aide extérieure par peur de se faire dominer à l'intérieur. Le président du Parlement, Nabih Berry, a récemment réclamé lui aussi, au cours de sa conférence prononcée à l'Université Georgetown à Doha, l'application de la théorie de Calhoun sans toutefois l'appeler par son nom. Nabih Berry a cité le politologue hollandais Ernt Liebhart en affirmant que la démocratie consensuelle « est née de la nécessité d'élargir le concept le plus connu de la démocratie, celle du nombre, en empêchant aussi bien la dictature de la majorité que la subversion de la minorité ». Le président du Parlement a conclu son analyse en expliquant que la démocratie consensuelle imposait une reconnaissance mutuelle au droit de veto.
À cela, il faudrait appliquer la formule de Rachid Karamé datant de 1984, laquelle consiste à confier le pouvoir exécutif au président de la République qui exercerait celui-ci avec la participation du Conseil des ministres. En effet, il est urgent et fondamental que le président de la République soit le chef de l'État et de l'exécutif afin qu'il soit l'arbitre de la décision et qu'il puisse agir :
1. Si nous voulons une armée forte, il faut que son chef, qui est constitutionnellement le président de la République, soit fort et qu'il n'en soit pas seulement le chef symbolique. L'armée a besoin d'une politique. Bachir Gemayel disait : « Le principal problème de l'armée n'est pas son incapacité à défendre le Liban, mais l'absence de leadership et de décision ferme et forte de la part du gouvernement civil. »
2. Si nous voulons un Liban réellement souverain, libre et indépendant, alors il faut que son garant, qui est constitutionnellement le président de la République, soit fort. Le renforcement de ce rôle de garant, qui n'est ni celui du Premier ministre ni celui du ministre des Affaires étrangères, permettrait au président de la République d'assurer une neutralité positive et permanente du Liban et la garantie internationale de celle-ci.
3. En tant que garant de la Constitution, le président de la République, s'il est fort, serait à même d'instaurer une réelle parité entre chrétiens et musulmans au Parlement en instaurant le système uninominal (la plus petite circonscription : un député élu par circonscription) et en introduisant le vote des émigrés. Nul ne peut croire qu'il existe aujourd'hui une parité au Parlement alors que plus que les deux tiers des députés, toutes confessions confondues, sont élus par les musulmans. Quant au système proportionnel, il paraît improbable dans le cadre d'une démocratie consociative (consensuelle) basée sur la parité entre deux groupes (chrétiens et musulmans), organisée par une décentralisation administrative et n'ayant que peu de partis et mouvements politiques dépassant les clivages confessionnels et bénéficiant d'un poids électoral important. Fort de ses prérogatives et de sa fonction de garant de la Constitution et de son application, le président de la République pourra enclencher la décentralisation de l'État dont il est le chef. L'État doit devenir régional basé sur une double autonomie qui garantirait à la fois une liberté d'action à l'État enfin capable par conséquent de défendre et de consolider l'indépendance recouvrée ; et une autonomie des communautés afin qu'elles ne soient pas étouffées dans leur personnalité. Le régionalisme laisserait subsister l'unité et l'indivisibilité de l'État tout en accordant aux régions et ainsi aux communautés, familles spirituelles et intellectuelles partenaires fondateurs de l'État, une autonomie administrative, politique, culturelle et intellectuelle. D'autre part, le régionalisme répond à une double volonté : celle d'une démocratie de proximité avec une citoyenneté engagée, et celle d'un État prolongeant l'action des personnes (comme le prône la philosophie personnaliste d'Emmanuel Mounier).
4. La présidence forte s'inscrit dans le cadre stratégique d'une protection (fonctionnelle) des minorités en Orient et non dans le cadre du confessionnalisme politique qui privilégierait les maronites. La présidence est donc un gage servant aux maronites à assurer la sauvegarde des droits, de la liberté et de l'existence des chrétiens et des autres minorités (d'un point de vue régional). Tout dépouillement de ses prérogatives peut donc être analysé uniquement dans le sens d'une réduction des droits des minorités dans une région où les chrétiens ne sont pas égaux avec les musulmans et vivent dans la dhimmitude.