Rupture Mag – 17 mai 2025 – Trump annonce la levée des sanctions américaines contre la Syrie de Joulani : un tournant majeur, article de Michel Fayad.

Trump annonce la levée des sanctions américaines contre la Syrie de Joulani : Un tournant majeur

Par Michel Fayad

Pour Rupture Mag

Le président Donald Trump a annoncé son intention de lever toutes les sanctions imposées à la Syrie. Cette décision intervient alors que la Syrie tente de se reconstruire après plus d'une décennie de conflit.

L'annonce surprise de Trump et ses motivations

Trump a déclaré lors d'un forum d'investissement à Riyad, en Arabie saoudite :
« Je vais ordonner la cessation des sanctions contre la Syrie afin de leur donner une chance d'atteindre la grandeur. C'est leur moment pour briller, nous les levons toutes. Bonne chance à la Syrie, montrez-nous quelque chose d'extraordinaire. » Trump a ajouté qu’il ne savait pas que la Syrie était sous sanctions depuis si longtemps et qu’il appréciait le nouveau dirigeant syrien, Ahmed al-Charaa, également connu par son nom de guerre d'Abou Mohammed al-Joulani

Le président américain a précisé que cette décision faisait suite à des consultations avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui ont tous deux plaidé en faveur de la levée des sanctions.

Une administration américaine prise au dépourvu

L'annonce de Trump a surpris la communauté internationale et sa propre administration. À Washington, de hauts responsables du Département d'État et du Trésor se sont retrouvés à devoir comprendre précipitamment comment annuler ces sanctions, dont beaucoup sont en place depuis des décennies.

Un haut responsable américain a révélé à Reuters que la Maison Blanche n'avait émis aucun mémorandum ou directive aux responsables des sanctions du Département d'État ou du Trésor pour préparer cette levée et ne les avait pas alertés de l'imminence de l'annonce présidentielle.

Après l'annonce, les responsables ont exprimé leur confusion quant à la manière dont l'administration démantèlerait les diverses sanctions, lesquelles seraient assouplies et quand la Maison Blanche envisageait de lancer le processus. Lorsque Trump a rencontré le dirigeant syrien, les responsables du Département d'État et du Trésor étaient encore incertains des prochaines étapes à suivre.

Le contexte politique et les changements en Syrie

La Syrie a connu des bouleversements majeurs ces dernières années, culminant avec le renversement de Bachar al-Assad en décembre dernier. Joulani a été formé à l’« école » d'Al-Qaïda et a rompu ses liens organisationnels avec l’organisation terroriste en 2016. Ce passé a suscité des inquiétudes parmi certains responsables américains et israéliens.

Après l'éviction d'Assad, les responsables du Département d'État et du Trésor avaient préparé des mémos et des documents d'options pour guider l’administration sur la levée des sanctions contre la Syrie si le président choisissait de le faire. Cependant, de hauts responsables de la Maison Blanche, des conseillers à la sécurité nationale et certains législateurs débattaient depuis des mois sur l'opportunité d'assouplir les sanctions, compte tenu notamment des liens de Joulani avec Al-Qaïda ou des groupes liés à cette organisation terroriste voire à Daesh.

Le mois dernier, les États-Unis ont remis à la Syrie une liste de huit conditions qu'ils souhaitaient voir remplies par Damas. La Syrie, en quête d'un allègement des sanctions, a officiellement répondu à ces conditions.

La rencontre entre Trump et Joulani

Trump aurait posé plusieurs conditions : l'expulsion de tous les combattants étrangers et extrémistes, l'abstention de discours haineux anti-américains et anti-israéliens, et une éventuelle adhésion aux Accords d'Abraham. Trump aurait aussi insisté sur la coopération avec les Forces démocratiques syriennes (FDS) essentiellement kurdes, notamment concernant la gestion des prisons détenant des djihadistes de Daesh. Il a encouragé Joulani à transformer les forces de sécurité et militaires en institutions nationales modernes respectant la démocratie et les droits humains, soulignant que la Syrie pourrait redevenir un centre culturel et commercial avec les bonnes décisions.

Joulani aurait répondu qu'il comprenait l'importance de la stabilité régionale, assurant qu'une coordination était déjà en cours avec le général Mazloum Abdi. Il aurait promis de protéger toutes les communautés syriennes, y compris les minorités, et de ne pas tolérer de discrimination ethnique ou sectaire, tout en restructurant les agences de sécurité pour en faire des institutions protégeant tous les citoyens. Il s’est engagé à abandonner toute rhétorique extrémiste et à ouvrir un dialogue national.

Joulani a également demandé des garanties : la levée immédiate des sanctions et une aide à la reconstruction. Trump a averti que si Joulani ne respectait pas ses promesses, les sanctions reviendraient plus dures, citant Kim Jong Un comme exemple de coopération réussie. Le prince Mohammed ben Salmane, présent à la réunion, a promis des investissements saoudiens pour la reconstruction, mais a insisté sur le fait que la confiance doit se traduire par des actions, ajoutant qu’il s’était porté garant de Joulani.

Le rôle de Joulani dans la levée des sanctions

Dans une lettre adressée à Trump, Joulani a assuré que la Syrie ne serait jamais une menace pour ses voisins ou la communauté internationale, s’engageant à des relations positives basées sur le respect mutuel. Il a promis de coopérer sur le retour des réfugiés syriens, de lutter contre l’immigration illégale vers l’Europe, et de travailler avec la communauté internationale contre le terrorisme, proposant que l’armée syrienne rejoigne la coalition internationale et soit formée par le Pentagone. Il a également offert de remplacer les armes russes par des armes américaines, de garantir la sécurité d’Israël, et de rejoindre les Accords d’Abraham, offrant des avantages comme la fin de l’influence russe et iranienne en Syrie.

James Jeffrey a révélé un secret

L’ancien envoyé spécial américain pour la Syrie, James Jeffrey, a confirmé ce que l’on murmure depuis longtemps dans la région : Washington a délibérément maintenu des liens avec Joulani, le chef du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC), en dépit de son passé avec al-Qaïda et Daesh et du fait qu’il y ait une récompense de 10 millions de dollars pour le capturer ou le tuer.

Ce qu’a reconnu James Jeffrey :

  • Les connexions avec HTC existaient déjà à l’époque où Joulani n’était pas à Damas.
  • HTC est aujourd’hui « la moins mauvaise option » à Idleb, et les États-Unis n’ont aucune intention d’abandonner le dialogue avec eux.
  • Maintenir HTC sur la liste des organisations terroristes est utile comme instrument de pression, et non à cause de la nature même du groupe.
  • La présence de troupes américaines en Syrie sert à contrôler l’équilibre entre la Turquie, Israël et l’Iran.
  • En réalité, Washington "décriminalise" les islamistes radicaux s’il est nécessaire de contenir d’autres acteurs régionaux. HTC ne fait pas exception.

Les États-Unis jouent un jeu bien connu : publiquement, HTC est une organisation terroriste, mais en réalité, c’est un partenaire utile. Joulani, malgré son passé dans le Front al-Nosra, aurait déjà « satisfait à un certain nombre d’exigences », selon Jeffrey.

Cette logique s’inscrit dans une stratégie pragmatique mais hypocrite : dialoguer avec des radicaux — s’ils sont prêts à « jouer selon les règles » des États-Unis. Et leur reconnaissance comme terroristes n’est rien d’autre qu’un outil de chantage.

Ainsi, les États-Unis semblent miser sur HTC comme nouvelle force supplétive. Il est possible qu’au vu de l’affaiblissement des autres groupes d’opposition en Syrie, Washington choisisse de parier sur Joulani, en dépit de son passé sanglant.

L’impact des sanctions et les critiques

Les sanctions américaines ont eu un impact dévastateur sur la Syrie, poussant 85 % de la population sous le seuil de pauvreté et multipliant par trente les prix des biens de première nécessité, selon des observateurs. Human Rights Watch a souligné que, malgré des exemptions humanitaires, les sanctions ont entravé l’acheminement de l’aide et contribué à l’effondrement économique, rendant la reconstruction post-Assad difficile.

Des voix critiques ont dénoncé les sanctions comme un outil de changement de régime, destinées à briser la Syrie de l’intérieur plutôt qu’à protéger les droits humains. Ces sanctions ont empêché la reconstruction après la guerre, contribuant à la chute d’Assad. Avant la guerre, un Syrien gagnant 600 dollars par mois pouvait vivre dignement, un luxe devenu impossible aujourd’hui.

D’autres ont qualifié la levée des sanctions de « faute stratégique majeure », avertissant que cela légitime un terroriste et pourrait transformer la Syrie en un foyer de djihadisme, comparable à l’Afghanistan sous les moudjahidines. Enfin, certains ont dénoncé un « prix trop élevé », arguant que la levée des sanctions s’accompagne d’une occupation américaine indéfinie, d’une exploitation des ressources syriennes, et d’un abandon de la résistance contre Israël.

Réactions internationales et régionales

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu aurait demandé à Trump de ne pas lever les sanctions contre la Syrie lors de sa visite à Washington le mois dernier, selon un responsable israélien. Trump a rejeté cette demande, informant Israël de sa décision.

Mazloum Abdi, le commandant en chef des FDS, a accueilli favorablement l'annonce de Trump, remerciant le président américain et soulignant que cette mesure aura un impact positif sur le pays, contribuant à sa stabilité et aux efforts de reconstruction.

Le président libanais Joseph Aoun a salué la « décision courageuse » de Trump comme une nouvelle étape sur le chemin de la Syrie vers le rétablissement et la stabilité.

L'un des trois Cheikhs Aql (chefs spirituels des druzes syriens), Hikmat al-Hijri, a publié un communiqué saluant la levée des sanctions américaines annoncée par Donald Trump. Depuis leur prise de Damas, les djihadistes ont massacré des Alaouites (au moins 1 600 entre le 7 et le 9 mars 2025), des Druzes (une centaine il y a moins de trois semaines) ainsi que des Chrétiens, des Chiites, des Ismaéliens et des Yazidis.

Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a salué la décision de Trump, et le ministre saoudien des Affaires étrangères a encouragé l’Union européenne à lever également ses sanctions sur la Syrie. Le Premier ministre qatari, Muhammad bin Abdulrahman Al Thani, a qualifié la levée des sanctions de « pas dans la bonne direction », insistant sur la nécessité de soutenir la stabilité de la Syrie pour éviter le chaos.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a revendiqué une part de responsabilité dans la décision de Trump, affirmant qu’elle faisait suite à sa demande (bien que Trump ait affirmé que sa décision faisait suite à la demande du prince héritier saoudien), et a appelé l’UE à lever immédiatement ses sanctions. L’UE, par la voix de sa haute représentante Kaja Kallas, a proposé un allègement des sanctions pour financer la reconstruction, la lutte contre le terrorisme et la gestion des migrations, une initiative soutenue par l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche et les Pays-Bas.

L’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, a accueilli favorablement le plan de Trump, le qualifiant d’étape vitale pour restaurer les services, stimuler l’économie et soutenir la reconstruction. Le coordinateur des secours d’urgence de l’ONU, Tom Fletcher, a également salué les progrès, notant une opportunité pour guider la Syrie vers le développement.

Le processus de levée des sanctions et les conditions associées

Malgré l'annonce de Trump, la levée effective des sanctions ne semble pas être pour l'immédiat. Le secrétaire d'État Marco Rubio a déclaré que Trump prévoit d'émettre des dérogations à la « loi César pour la protection de la Syrie », qui devront être renouvelées tous les 180 jours. Si Damas fait des progrès suffisants, les États-Unis demanderont au Congrès de lever définitivement les sanctions. Rubio a ajouté que cette mesure vise à rendre la Syrie « sûre et stable » et à permettre aux partenaires d’envoyer de l’aide sans risque de sanctions.

Le Département du Trésor travaille avec le Département d’État et le Conseil de sécurité nationale pour mettre en œuvre les directives de Trump, et prévoit d’émettre des licences générales pour soutenir la reconstruction économique, financière et infrastructurelle de la Syrie. Le gouverneur de la Banque centrale syrienne a indiqué que les sanctions avaient isolé la Syrie du système financier mondial, et que leur levée permettra de réactiver le système SWIFT, facilitant les exportations et réduisant les coûts d’importation, avec un impact attendu dans 6 à 12 mois.

Le sénateur Lindsey Graham a appelé à une approche prudente et délibérée concernant la levée des sanctions sur la Syrie, soulignant que le Congrès a un rôle de surveillance important à jouer. Il a noté que la désignation de la Syrie comme État parrain du terrorisme a des ramifications importantes, et que le Congrès devra être informé des conditions imposées à la Syrie et de leur respect avant de décider d’approuver un changement de statut.

Le porte-parole régional du Département d'État, Michael Mitchell, a souligné que même avec la décision de Trump de lever les sanctions contre la Syrie, cela nécessitait une coordination avec le Congrès. Il a ajouté que toute future coopération américaine dépendrait du comportement du nouveau régime syrien, et que les développements récents sont des étapes préliminaires, avec une ouverture à une nouvelle phase qui ne signifie pas ignorer les défis sécuritaires.

Conclusion

L'annonce par Donald Trump de la levée des sanctions américaines contre la Syrie marque un tournant dans la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. Cette décision intervient à un moment critique pour la Syrie, qui tente de se reconstruire après des années de conflit. Cependant, elle suscite des inquiétudes quant aux implications sécuritaires et à la légitimation d’un djihadiste. Le chemin vers une levée effective des sanctions reste complexe et dépendra de nombreux facteurs, notamment le comportement du nouveau régime syrien, la coordination avec le Congrès américain, et les actions concrètes de Joulani pour répondre aux attentes internationales.

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