Le 13 octobre 1990, la Syrie prenait le contrôle des «régions libres» et imposait au Liban une paix sur laquelle elle s’était mise d’accord avec Américains et Saoudiens. Cette paix, qui était tout sauf libanaise et qui provoqua le départ d’un million de Libanais, une dette de 47 milliards de dollars et la naturalisation de 300000 Syriens, Palestiniens et Kurdes, porte un nom: Taëf. Pardon, réconciliation nationale et nouvelle formule de participation entre Libanais, il n’y eut rien de tel. Sinon, les 800000 Libanais déplacés durant la guerre seraient rentrés chez eux ! Taëf n’a ni restauré la démocratie ni bâti l’État fort, mais imposé un partage du pouvoir entre feudataires, chefs de guerre et businessmen dans le «lopin» de liberté octroyé par le Léviathan syrien. La formule politique issue de l’«accord» (ou plutôt du diktat) de Taëf est liée à la présence d’un tuteur (rôle joué par la Syrie de 1990 à 2005) et d’un climat de compromis régional et international. Avec la fin de l’occupation syrienne et la crise entre sunnites et chiites, Taëf, malgré l’accord de Doha, est paralysé. Il est désormais venu le temps de rompre l’anschluss libano-syrien par la révision du traité de fraternité, de coopération et de coordination. Ce traité datant du 22 mai 1991, rédigé avec la participation des Américains, a créé juridiquement, comme le dit Joseph Maila dans son analyse du Traité de fraternité dans les Cahiers de L’Orient (n°24, quatrième semestre 1991), une«Union d’États» de type confédéral, par la mise en place des «plus hauts degrés de coopération et de coordination» entre le Liban et la Syrie «dans tous les domaines»(article premier) : «la politique, l’économie, la sécurité, la culture, la coopération scientifique et tout autre domaine». Les notions de souveraineté et d’indépendance des deux États, réaffirmées dans le traité, sont fortement atténuées par leur «destin commun» (article 5). L’article 3 consacre «l’interdépendance de la sécurité des deux pays» avec un État libanais s’engageant à ne pas être «un lieu de passage ou d’ancrage pour des forces ou des États qui menaceraient sa sécurité ou celle de la Syrie» et un État syrien s’engageant à préserver «l’indépendance du Liban, son unité et l’entente entre ses fils» et à n’autoriser « aucune action qui menace la sécurité, l’indépendance et la souveraineté du Liban». En somme, la Syrie estlégalement autorisée à intervenir au Liban. Le traité établit également une diplomatie (autre champ de la souveraineté d’un État) commune au niveau arabe et international. La confédération libano-syrienne est composée d’organes institutionnels: le Conseil supérieur, qui regroupe les présidents de la République, les présidents des Parlements, les présidents du Conseil et les vice-présidents du Conseil des deux États, et qui dispose d’un pouvoir normatif; le Comité du suivi et de la coordination qui réunit les deux présidents du Conseil libanais et syrien ainsi que certains de leurs ministres pour coordonner l’action des commissions; les commissions des Affaires étrangères et des affaires de la Défense et de la Sécurité; et, le secrétariat général désigné par le Conseil supérieur pour «suivre l’exécution des dispositions du traité» de façon permanente. Dans son article, Joseph Maila écrit que «la confédération mise en place» pourrait avoir une «vocation intégrative, et une union politique, à terme, n’est pas à exclure dans le sillage d’une homogénéisation des lois et des règlements des deux pays» et que «de quelque manière qu’on l’envisage, le Traité libano-syrien est, sur le plan politique, un traité hégémonique et inégal pour le Liban. Il place le pays sous la coupe d’un voisin plus fort, qui n’a jamais fait mystère de ses intentions le concernant.» Le patriarche Nasrallah Boutros Sfeir dénonça à juste titre un«accord contraire au Pacte national de 1943» (an-Nahar le 23 mai 1991) pourtant inamovible et définitif puisqu’il est l’engagement de tous les Libanais, chrétiens et musulmans, à un pacte de vie commune à travers une formule politique qui, elle, peut évoluer. En effet, Youssef Ibrahim Yazbeck, historiographe du Pacte national, rapporta dans al-Ousbouh al-Arabi, le 12 septembre 1960, le premier principe du pacte tel que conclu entre Béchara el-Khoury et Riad el-Solh: «Le Liban est une République indépendante… aucun traité, aucune convention ne l’engage à l’égard d’un quelconque État… ni tutelle, ni protection, ni situation privilégiées au profit de n’importe quel État.» Ce que le patriarche maronite ne dit pas c’est que le Traité de fraternité n’est que la continuation de l’accord de Taëf déjà non conforme au Pacte national puisque celui-ci prévoit des «liens privilégiés»avec la Syrie. Ainsi, comme le dit également Joseph Maila, Taëf n’est «ni porteur ni garant d’indépendance et pose des fondements nouveaux pour la survie de l’État libanais». Il est urgent de réviser le traité libano-syrien de fraternité, de coopération et de coordination pour rétablir la souveraineté du Liban et rééquilibrer les relations entre les deux États. Il n’est plus question de relations «privilégiées» et «fraternelles» ou «stratégiques», mais de relations «spécifiques» et «équilibrées». Pour matérialiser efficacement les relations spécifiques et équilibrées entre les deux États et éliminer les sentiments de peur et d’appréhension résultant de la guerre et de l’occupation afin d’établir une confiance mutuelle, il faut échanger une représentation diplomatique consacrant ainsi l’indépendance et la souveraineté définitives des deux États ainsi que la neutralité du Liban, qui devra être positive, permanente et garantie internationalement ; et le fait que la Syrie libère les quelque 640 Libanais détenus en Syrie(comme Boutros Khawand, Dany Mansourati et tous les autres). Il importe aussi de délimiter les frontières, notamment dans le secteur des fermes de Chebaa et pour les eaux du Assi; et trouver un accord sur le réseau régional électrique et sur la main-d’œuvre syrienne au Liban. Depuis l’accord du Caire, la souveraineté libanaise est soit contestée, soit limitée, soit contrôlée. Il est désormais temps de la restaurer dans toute son essence, sa portée, sa signification et son application car la notion de souveraineté ne peut être qu’absolue. Cela commence dès cette semaine avec la visite à Damas du président de la République. Michel FAYAD